Foucault / Assange – Du contrôle à la technologie du secret
« Je crois que les Hommes font quelque chose quand ils
parlent, ils font quelque chose quand ils parlent exactement de la même façon
qu’ils font quelques chose quand ils fabriquent un objet ; le discours ça se
fabrique, le discours une fois fabriqué ça existe, une fois que ça existe ça
subsiste, une fois que ça subsiste ça fonctionne, et une fois que ça fonctionne
ça se transforme, ça a des effets, ect…
C’est cette consistance interne du discours, du discours en
quelque sorte comme objet fabriqué,
c’est cela que je voudrais arriver à restituer. »
Michel Foucault, France Culture, 2 mai 1969
De ces discours, il nous appartient d’en identifier les
bénéficiaires et les desseins. Qui sommes nous ? Pourquoi nous mobilisons-nous
pour une cause plutôt qu’une autre quand toutes ont un caractère d’urgence ?
Est-il humain d’avoir à choisir entre la survie de l’humanité et ses conditions
d’existence ? Sommes-nous seulement libres de faire ce choix ?
Nous sommes au lendemain du discours d’Emmanuel Macron, le
26 avril 2019, suite au grand débat national. Les thèmes abordés et les
réponses aux questions confirment le traçage des périphéries vers lesquelles
nous sommes repoussés pour y débattre de sujets sociétaux. Nous sommes
rigoureusement écartés des véritables enjeux : la remise en cause de la
domination des marchés financiers et le règne sans partage du capitalisme. Ce
point central, hors duquel aucun changement n’est envisageable, nous est
interdit par les rouages perfectionnés d’un discours issu de l’association des
grandes fortunes et des états. Ce discours n’a cessé de se peaufiner au fil du
temps, il est aujourd’hui universel et parlé dans le monde entier. Assange
vient de prouver que si l’on s’introduit dans les secrets de sa fabrication,
les puissances démocratiques auront recours, de la même manière que les états
répressifs, à la force ; bien qu’ils feignent d'en dénoncer les abus et
arrestations arbitraires. Les contradictions n’altèrent pas l’efficacité du
discours. Il n’y a rien à attendre d’un tel système.
En 1969 Michel Foucault publiait l’Archéologie du Savoir (Gallimard).
Il démontrait qu’il n’y a pas de domaines de connaissance dans le savoir mais
des discours fabriqués, en interaction avec des disciplines de différentes
natures, qui accouchent par leur interférences, de nouvelles sciences humaines,
économiques et politiques, donnant lieu à leurs tours à de nouvelles formes de
discours...
En 2006 Julian Assange fonde Wikileaks, le fruit de vingt
ans d’observations et d’expérimentations sur l’art du secret amené à son plus
haut niveau, grâce au développement du cryptage. Assange est un mathématicien
assorti d’un brillant crypteur qui s’est emparé du secret comme sujet d’étude
scientifique. Très vite, il fait le rapport entre les moyens mis en œuvre pour
garder certaines informations cachées, à l’abri de la population, et
l’importance qu’elles représentent pour qui les détient : Les états, les
lobbies et les armées. En plus de parfaire les moyens de dissimuler ces
informations et communications, il faut également les détruire de sorte qu’en
dehors des protagonistes personne ne puisse avoir connaissance de leur
existence. C'est un tour de magie, une page blanche est remise à sa place,
vierge de tout ce qu’elle a transmis, rien n’a été déchiré ou brûlé, la
destruction des informations est invisible.
Le rapport entre le secret et la domination des grandes
puissances sur les individus obsède Assange qui ne se contente pas d’avoir
compris sa forme nouvelle, mais qui en a aussi trouvé la clé, l’a expérimentée
à ses risques et périls, et la détient aujourd’hui.
Michel Foucault et Julian Assange se répondent à plus de
trente ans d’intervalle par delà l’explosion de la technologie.
Le philosophe, dans Histoire de la folie à l’âge classique (Gallimard),
démontre comment, à la fin du moyen âge, les fortunes privées et l’église se
sont mêlées de la vie de la cité par le financement de la remise en état des
léproseries laissées à l’abandon. En échange d’un droit d’ingérence, les
fortunes cléricales et privées ont rendu possible la réhabilitation de ses
lieux, leur aménagement et leur fonctionnement tout en influençant
l'orientation de leur nouvel usage : les léproseries sont demeurées des lieux
d’internements, non plus à destination des lépreux, la maladie ayant disparu,
mais des fous. La tranquillité préservée de l’espace public dévolu aux
commerces et à la consommation en fut la principale motivation, avant toutes
préoccupations sanitaires et humanitaires apparues beaucoup plus tard…
Foucault développe une réflexion sans égale sur les lieux de
surveillance. L’évoquant pour ses élèves, Gilles Deleuze parlera
d’architectures d’ombres et de lumière ; selon les discours scientifiques et
politiques d’une époque, les valeurs sociales, le surveillant se montre tantôt
à travers les barreaux d’une cage, tantôt se cache derrière la lucarne amovible
d’une porte blindée... Le bâtiment conditionne-t-il le mode de surveillance ?
Ou bien une politique moderne d’observation et de contrôle détermine-t-elle les
plans des architectes ?
De nos jours, différents courants de pensée préoccupés par
le domaine social défendent l’ouverture des lieux d’internement. Des voix
s’élèvent contre la pratique de l’incarcération pour les délinquants ou
l’enfermement des malades mentaux. Les objectifs de soins et de guérison sont
toujours à l’ordre du jour, mais il est établi que l’isolement n’améliore pas
l’état d’un être anxieux ou désespéré. Aussi, des solutions comme le bracelet
électronique pour les premiers et le traitement chimique pour les seconds — ou
l’association des deux en cas de force majeur — laissent espérer qu’un jour
nous pourrons circuler librement avec nos différences, munis d’un droit
d’expression farouchement défendu… Ajouté à cela que ces trente dernières
années l’apparition d’internet nous a donné le sentiment d’accéder à une
liberté nouvelle, de pouvoir dialoguer avec le monde entier dans tous les
domaines du savoir et obtenir en un temps record les informations les plus
précieuses...
Jusqu’à ce que les lanceurs d’alerte nous démontrent qu’il
n’en était rien.
à suivre...
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